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Pour l’abolition de la note scolaire
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Pan à la note ! Panote ...

 Pourquoi les professeurs mettent-ils des notes à leurs élèves ?

 Pourquoi, alors qu’aucun texte légal ne leur en fait une obligation, qu’ils ne risquent donc pas de sanctions pécuniaires s’ils s’en défont ?

 Pourquoi, alors que la note ne fait pas apprendre et qu’elle fait perdre du temps ?

 Pourquoi, alors que les parents ne peuvent rien faire avec le verdict (… votre fille a 5 – ou elle a 15 - sur 20 en chimie) puisqu’ils ignorent comment le professeur est passé d’une analyse multidimensionnelle de la prestation à une note unidimensionnelle ?

 Pourquoi, alors qu’en outre, les parents ignorent comment le professeur a fait apprendre en amont, ou le professeur a appris à noter, ce qui l’anime ? Quels paramètres relationnels entrent en jeu dans ce jeu unilatéral ?

 Pourquoi noter, enfin, alors que professeurs et parents ignorent les ressorts psychiques de l’élève soumis au questionnement ?

Charles Pepinster

L’analyse du métier de l’élève : un révélateur de l’école sélective
Article paru dans “L’Éducateur” , n°4, 2005
Article mis en ligne le 25 août 2008
dernière modification le 19 octobre 2017

Accueillir chaque enfant Í l’école en tant qu’être humain - et non pas seulement élève -, c’est accepter en tant qu’éducateurs (parents et enseignants) de chausser les lunettes du sociologue pour qu’elles dérangent notre conception d’une École uniquement bienfaitrice. Oui, pour qu’elles nous décillent afin de mieux voir les conditions de travail et de vie offertes aux enfants Í l’école.

Admettre l’obligation faite aux enfants d’être lÍ  : difficile !

Le concept de métier d’élève représente une grille d’analyse de la réalité scolaire précieuse. Ne serait-ce déjÍ que pour nous rappeler comme le fait Philippe Perrenoud (1994) [1] qu’il est un des métiers les moins librement choisis.
« Le métier d’élève est assigné aux enfants et aux adolescents comme un métier statuaire, Í la manière dont un adulte est mobilisé par l’État dans un jury ou une armée. Juridiquement, le travail scolaire est plus proche des travaux forcés que de la profession librement choisie » avait-il alors écrit. Je me souviens qu’Í cette lecture mon moi d’enseignante avait été ébranlé. Dans un premier temps j’avais eu tendance Í refuser cette manière de voir l’enfant scolarisé, Í refuser aussi le concept même de “métier d’élève” . Pour moi, dans ma classe, les enfants venaient vivre une vie d’enfant privilégiée comparée aux enfants qui n’ont pas la chance d’être scolarisés. On y travaillait bien sÍ »r, mais pour grandir, entrer dans la culture, le savoir et les arts, se préparer Í vivre dans une société démocratique. Et voilÍ que cette analyse du “métier d’élève” venait faire la mouche du coche !

Mouche du coche, cette grille d’analyse me parut d’abord objet ennuyeux, agaçant, démobilisateur. À écraser d’un coup de tue-mouche. Cette première réaction de rejet laissa pourtant très vite la place Í une autre posture. L’analyse étant forte, le dérangement devint un dard me poussant Í être de plus en plus lucide sur le travail réel demandé aux élèves. Je me décidai alors de faire de ce dard un ami critique, une loupe toujours accessible, prête Í réguler ma vision idéale de l’école, qui certes me permettait de croire Í mon métier d’enseignante, mais qui aussi me rendait parfois aveugle de ce que j’y fabriquais vraiment.
Je finis ainsi par admettre l’École, grÍ¢ce Í cette analyse du métier de l’élève, non seulement comme un droit offert Í tous les enfants de s’y rendre, mais aussi comme une obligation leur étant faite - Í eux et Í leur famille - de se soumettre Í ses lois. Ce nouveau regard bouleversa ma conception de l’École. Me révélant ainsi les conditions du travail scolaire et les effets possibles du métier d’élève.
Une série de questions me cravacha dès lors. Dont cette première : « À quoi je joue quand je participe Í l’imposition qui est faite aux enfants d’exercer leur métier d’élève ? »

Le métier d’élève : un concept utile Í l’enseignant

Prendre conscience de cette exigence qui est faite Í l’enfant d’aller Í l’école, est alors devenu pour moi, un des fondements de la prise en considération de chaque enfant et adolescent se trouvant dans une classe, une école, une institution.

« Quel métier suis-je en train de faire exercer Í mes élèves ? » Cette question aiguillon m’a permis d’abord d’admettre que de nombreux enfants travaillant dans ma classe et dans d’autres préféreraient souvent être ailleurs. Une manière de mieux comprendre la résistance de Pierre chaque lundi matin face au devoir d’enfiler ses pantoufles… Ou la faculté de Marie d’allonger la réunion du matin en racontant ses films du week-end comme ma propre faculté, en réponse Í celle-ci, de provoquer la mise en place d’une nouvelle règle de vie scolaire : les films se racontent Í la récréation. Une règle argumentée bien sÍ »r. Et plutÍ´t deux fois qu’une : discuter d’un film est plus intéressant Í faire entre ceux qui ont vu le film. Et comment d’ailleurs discuter ensemble de tous les films vus ?
Bref questionner le métier d’élève me rendait plus lucide de l’imbrication des métiers d’enseignant et d’élève.

Admettre de considérer l’enfant obligé d’exercer son métier d’écolier me permit de mieux m’expliquer le nombre infini de stratégies développées pour réaliser les tÍ¢ches imposées. Pour pouvoir les exécuter comme pour pouvoir les contourner. Comprendre aussi l’invention des mille et une manières de tromper l’ennui, de brouiller les règles du jeu, juste pour pouvoir survivre en tant qu’enfant. Comprendre encore le besoin de se dégourdir les membres, reprendre souffle, prendre une pause. Je me suis alors mise Í voir l’enfant taillant et retaillant son crayon, griffonnant dans les marges, jouant avec son portable en cachette ou me regardant droit dans les yeux pour mieux rêver, comme un enfant ayant une attitude normale. Faisant partie de sa manière d’exercer le métier d’élève dans les conditions que l’école et mes propres pratiques imposaient.

La question « Quel métier suis-je en train de faire exercer Í mes élèves ? » m’a permis aussi de mieux percevoir la différence entre les enfants dans leur rapport Í l’école et Í l’apprentissage scolaire. Elle m’a poussée Í constater que si certains enfants font de la nécessité d’aller Í l’école une riche occasion d’apprendre, un plaisir parfois très grand, pour d’autres, cette obligation leur fait construire un rapport négatif Í l’école, aux tÍ¢ches scolaires, aux disciplines, aux savoirs. Parfois au monde des adultes. Simplement parfois parce qu’il leur est imposé d’être un apprenant sept heures par jour.
Cette acceptation de voir la réalité en face m’a alors conduite Í admettre que l’exercice du métier d’élève peut être source d’apprentissages peu désirés, voire contraire Í tous nos principes éducatifs officiels et privés. L’obligation d’exercer le métier d’élève pouvant toujours conduire l’enfant Í apprendre Í tricher, mentir, taire ses pensées, cacher ses manques, ses incompétences. Aux autres, comme Í soi-même.

Prendre conscience, en tant qu’enseignant, des apprentissages non-voulus mais favorisés par le travail réel que fait l’élève me donna alors l’occasion de faire un autre grand pas : analyser ce qui pourrait être amélioré dans les conditions du métier d’élève. Non pas pour me protéger en tant qu’enseignant des droits du pauvre que les coutumes du métier d’élève finissent par donner aux enfants mais pour m’ empêcher de faire de l’École une zone de non-droit (telle que Defrance la définit).
Le pas d’une lutte contre la sélection durant la scolarité obligatoire était désormais franchi.

Quand l’analyse du métier d’élève pousse l’éducateur Í souhaiter un autre contrat scolaire

La prise de conscience de cette obligation qui est faite Í l’enfant de se rendre Í l’école durant la période de son instruction obligatoire, devient douloureuse quand on analyse la double fonction de l’exercice du métier d’élève dans une école sélective : éduquer la jeunesse mais aussi, et dans le même temps, la trier. Soit exclure durant la période d’instruction obligatoire certains êtres des meilleures places sociales. Avec, comme principal moyen pour opérer ce tri, la fabrication de l’excellence scolaire et de son thermomètre le plus classique, la note (Perrenoud, 1984 [2]) Avec un résultat très fiable : la transformation des différences individuelles en terme de capacités ou incapacités scolaires conduisant Í des inégalités sociales. Des inégalités acceptées au nom du respect des différences, de la reconnaissance du don, du mérite personnel ou des handicaps socio-culturels. Dans les sociétés inégalitaires, les raisons de l’acceptation de l’inégalité varient suivant les époques.
Si des recherches démontrent régulièrement que l’école fabrique de l’échec scolaire, bien peu de citoyens, dont les parents d’élèves, s’insurgent contre cette fabrication. Parce qu’elle se déroule, relativement cachée au cœur d’une éducation réclamée par les droits de l’homme. Ce droit fondamental provoque une représentation de l’école comme lieu exclusif d’éducation et d’instruction masquant dans les écoles sélectives sa fonction de tri social.

Quand le métier d’élève s’exerce dans une École sélective

Notre loupe placée sur l’exercice du métier d’élève permet de relever ce que les contraintes et les normes rattachées Í la sélection font aux acteurs. De repérer ainsi les perversions et les dérives d’un métier d’élève né d’une intention d’instruire entremêlée d’une obligation de sélectionner.

Que voyons-nous du cÍ´té des enfants ?

 Censés apprendre, certains élèves mettent l’essentiel de leur intelligence Í monnayer leurs savoirs, gérer leur moyenne. Parfois s’empressent d’oublier les acquis une fois évalués.
 Pantins dont les ficelles sont les notes mises au service de la sélection, de nombreux enfants ne construisent plus que non-sens, pas de sens, ou contresens au travail scolaire et Í certains savoirs.
 A force d’être dévalués, écrasés par une discipline, des enfants deviennent apathiques ou révoltés.
 Des enfants finissent par trouver normal d’être exclus du savoir transmis par l’école, parce qu’ils s’attribuent l’entière responsabilité de leur échec, se pensent définitivement bêtes, “nuls” disent-ils.
 Des enfants, par peur de l’échec scolaire, s’excluent des situations d’apprentissage. En se faisant tout petits pour qu’on les oublie, en trichant pour ne pas montrer leurs erreurs, en faisant croire qu’ils savent tout. Certains, par peur de l’échec, finissent par ne plus rien risquer face Í l’apprentissage. Recevoir une mauvaise note ou une mauvaise appréciation est bien plus douloureux quand on a travaillé corps et Í¢me que quand on n’a rien fait. On peut alors entendre des élèves dire haut et fort « je m’en fous de l’école » ou « je n’ai pas travaillé », parce que c’est pour eux prendre le moindre risque face Í leur image de soi d’enfant.
 Quand l’image de soi est affaiblie par des échecs scolaires continuels, au fil des mauvaises notes ou appréciations reçues, pour se prouver qu’ils existent, qu’ils peuvent “faire des choses” les enfants sont conduits aux stratégies du pauvre. Dans le meilleur des cas, ils foncent dans une seule discipline ou un seul art, plus ou moins valorisé Í l’école et se trouve ainsi un groupe d’appartenance qui leur permet d’exister, d’être admiré, reconnu. Dans des cas plus fréquents, ils se contentent de “coups” plus ou moins remarquables - faire le clown pour faire rire, déclencher une bagarre, interpeller vulgairement l’enseignant voire crever les pneus de sa voiture. Mais le besoin d’appartenir Í un groupe, d’exister avec d’autres peut aussi aboutir Í rechercher des situations pénibles pour soi-même : être le bouc émissaire de la classe ou le souffre-douleur d’un seul camarade.
 Dans les cas o͹ l’ensemble de ses travaux d’élève finit par dévaloriser l’enfant Í ses propres yeux, celui-ci peut être conduit Í se réfugier, dans l’école ou en dehors de celle-ci, dans des clans, des bandes qui lui permettent d’exister, d’être relié Í d’autres, de se sentir reconnu comme un parmi les autres, d’être acteur et non spectateur d’une vie sociale scolaire qui ne le reconnaÍ®t que comme être manquant. Il peut alors être amené Í montrer son pouvoir sur autrui, son influence sur le monde en taguant, en participant Í des casses, en détruisant son école ou des symboles de la société dont il se sent en marge.

Les effets du couplage de la formation et de la sélection sur l’exercice du métier d’élève, atteignent évidemment le métier d’enseignant et celui de parent d’élève :

 Des parents attribuent plus d’importance aux résultats des évaluations officielles qu’Í la maÍ®trise durable des connaissances, et admettent que leurs enfants se retrouvent dans des vies déterminées par le système scolaire.
 Les familles dont les enfants sont les futurs exclus des bonnes places sociales, intériorisent très tÍ´t la conviction subjective qu’ils sont eux-mêmes responsables de cette exclusion puisque celle-ci est justifiée par la manière de leur enfant d’exercer son métier d’élève.
 Des enseignants compétents et généreux s’épuisent Í donner Í l’École, au travail scolaire, aux savoirs, aux disciplines, un sens que l’obligation d’évaluer de manière sélective finit toujours par pervertir. La sélection détruit les meilleures intentions pédagogiques parce qu’elle influe fortement la manière des élèves d’habiter leur métier d’élève et du même coup leur rapport au savoir scolaire.

Quant Í la transmission de la culture, elle est perdante, elle aussi, puisque pour de nombreux élèves, les savoirs ne se transforment jamais en plus-value d’être, parce l’exercice du métier d’élève dans une École sélective prend la signification d’abord de couperet. Le savoir traité Í travers les tÍ¢ches prescrites peut alors perdre toutes ses significations sociales pour ne conserver que le sens de son utilité scolaire. Le savoir devient objet Í acquérir pour ne pas avoir de mauvaises notes, pour passer au degré suivant, dans le cycle supérieur. Et avoir un diplÍ´me. Et risque souvent de ne jamais se transformer en savoir verbe.

Métier d’élève et d’enseignant : tous dans le même bateau

L’analyse du métier d’élève renvoie toujours Í l’analyse du métier d’enseignant. Et cette analyse met particulièrement bien en évidence que les systèmes scolaires pris dans la double logique reliant formation et sélection ne cessent de placer les acteurs dans des contradictions, des injonctions paradoxales, des dilemmes parfois insurmontables. Ils dépensent ainsi du temps, de l’énergie et de l’argent pour réparer les enfants dévalués qu’ils ont eux-mêmes abÍ®més. Le plus souvent en vain. L’analyse du métier d’élève met particulièrement bien en évidence la création des nouveaux métiers d’adultes conçus comme des béquilles offertes aux élèves blessés dans l’exercice de leur métier au prise avec la sélection. C’est l’analyse du métier d’élève qui permet le mieux de comprendre qu’une école qui ne parvient pas Í se débarrasser de son obligation de sélectionner finit par avoir besoin de l’échec pour fonctionner. Les spécialistes de l’échec scolaire créant, par l’exercice de leur profession, le besoin d’échec lui-même. Le cercle vicieux est bien en place en Suisse romande (Perrenoud, 1984 ; Hutmacher, 1993 [3]). Ces méfaits sont aujourd’hui pointés par la recherche en sciences de l’éducation et viennent confirmer les alertes faites depuis longtemps par certains pédagogues.
Mais ils ont encore de la peine Í être perçus par tout un ensemble de la population.

C’est dans l’exercice de son métier d’élève que l’enfant devient notre voisin

Nos sociétés sont en plein questionnement Í propos de la double mission - formative et sélective - de l’École. Parfois parce que nos sociétés démocratiques sont devenues plus soucieuses de l’égalité entre les hommes. Mais surtout pour des raisons qui n’ont rien Í voir avec la charité mais avec leur survie. Il est en effet plus aisé aujourd’hui qu’hier de se rendre compte que l’École de nos sociétés démocratiques, quand elle conserve des pratiques scolaires qui dégradent l’image de soi de certains enfants, les empêchent de reconnaÍ®tre la nécessité de leurs lois. Installés dans la résistance construite Í travers un métier d’élève finissant par les exclure de la société, ils ne parviennent pas Í comprendre que renoncer Í leur toute-puissance construite dans l’exclusion pourrait être une perte qui se transforme en gain. Celui d’être protégé de la toute puissance des autres. De pouvoir simplement ne pas avoir peur de son voisin.

Faire parler les enfants de leur métier d’élève

Les mieux placés pour nous faire comprendre l’aberration de certaines conditions d’exercice du métier d’élève sont peut-être les enfants nous parlant de ce métier qu’ils pratiquent. Or c’est bien l’absurdité de mêler sélection et formation qui transparaÍ®t le plus nettement en toile de fond dans leurs discours. Surtout quand les enfants comparent leur pratique du métier d’élève dans un système formatif et dans un système sélectif. Leurs discours nous invitent Í prendre conscience combien l’organisation du travail scolaire est actuellement dans certains pays imbibée des coutumes d’une école sélective. Et combien les fonctions formative et sélective de l’école modulent les conditions du métier d’élève.

Les enfants savent faire leur choix entre les diverses conditions proposées. L’entretien des adolescents finlandais dans un dossier de “L’Éducateur” consacré au métier d’élève (2005, n°4, p. 31) nous le prouvent. Il se pourrait qu’ils puissent nous aider Í faire les nÍ´tres pour que la pratique du métier d’élève puisse être cohérente avec l’avènement d’une École démocratique. Car si nous pouvons admettre, avec Philippe Perrenoud, que l’éducation est forcément toujours une contrainte pour l’enfant, nous pouvons aussi admettre que nous sommes responsables du choix de ces contraintes et des finalités qu’elles servent.

Étiennette Vellas
 Chargée d’enseignement Í l’Université de Genève (Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation)
 Membre du Groupe Romand d’Éducation Nouvelle (GREN)

Vers le site de la revue “L’Éducateur